home
A dix heures je reçois un mot de mes parents en même temps qu'un mandat... Béni soit-il... ! Ma mère m'annonce qu'elle fera son possible pour venir me voir le jeudi de l'Ascension. Je voudrais déjà être à ce jour-là.
Il est vrai que c'est le 17 et que nous sommes au 12. Donc plus que cinq jours à attendre... Qu'ils vont me sembler longs...
L'après-midi je satisfais mon envie, je rentre vivement, et je couds immédiatement mes deux insignes sur ma veste.
Je voudrais déjà ressortir pour m'exhiber. Mais la soupe est là et il faut rester... Ce sera pour demain.
Je me suis lié avec quelques camarades et nous pouvons faire une manille.
Le lendemain, un de ces camarades passe la matinée à m'apprendre à jouer au jacquet : telle sera ma distraction, tous les matins et tous les soirs. L'après-midi je sors avec lui.
Nous entrons dans un café, après une bonne promenade. Nous commandons deux bocks et nous mettons en devoir de rouler chacun une cigarette. En nous voyant, un consommateur s'approche : "Eh... les amis, vous n'auriez pas une cigarette à m'offrir ?"
Je pousse un ah! de stupéfaction. J'ai toujours entendu dire que les poilus étaient bien choyés par les civiles qui leur offraient des cigarettes et mille autres douceurs, et voilà que...
Ah non, alors, pas de ça... ! "Non, mais dites donc, depuis quand avez-vous vu des poilus faire des cadeaux aux civils, répliquai-je. Dans mon pays c'est le contraire qui se passe ! Sans blague, vous ne vous doutez pas que nous ne gagnons que cinq sous par jour ? Si vous n'avez pas de tabac, le bureau n'est pas loin, faites comme nous, ou alors contentez-vous de cracher... !"
Ce vulgaire pékin ne voulut pas en entendre davantage. Il prit la poudre d'escampette. Nous causons encore cinq minutes de cet incident. Un bonhomme, à côté de nous avait suivi la scène d'un oeil amusé, et se tournant vers moi :
|