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     Il était temps. Un cri : "Fixe!" Tout le monde se découvre et se plante, chacun devant son lit, raide comme un piquet. Je fais comme tout le monde. J'allais faire connaissance avec mon lieutenant, chef de groupe : un jeune homme (classe 1914) portant lorgnon, gentil garçon, grand, mince, élancé, fines moustaches. En un mot, un beau gars, le lieutenant Rougier !

     Il fit le tour de la chambre, inspectant chacun. Arrivé devant moi :
     "Tiens, un nouveau. De quelle section venez-vous ?
- Je suis engagé, mon Lieutenant, répondis-je.
- Ah ! Pourquoi vous êtes-vous engagé ?
- Pour être soldat, comme tout le monde, mon Lieutenant !"

     Je crois que s'il avait continué à m'interroger, je n'aurais plus su quoi dire. J'avais peur, non pas de lui, mais des yeux des autres poilus, braqués sur moi. Oui, ces yeux m'intimidaient. Ils semblaient me dire : "Espèce d'imbécile ! Tu ne pouvais pas rester chez toi ?" Je n'osais regarder personne, tant je sentais poindre de méchanceté dans ces regards !

     Enfin, la revue finie, chacun de se précipiter sur moi !
     "Tu parles d'un c... !
- T'avais rien à bouffer chez toi ... ?
- Tu la crevais ... !
- Si encore tu me libérais en venant faire le c... !"

     Et mille autres amabilités du même genre. J'en aurai pleuré. Pauvre sot. Ce n'était que le commencement. Je n'avais pas encore 24 heures de service : je n'avais rien vu.

     Le soir, je fus couché un des premiers. Le lendemain matin, il n'y avait presque rien à faire : nettoyage des chambres le matin, c'était tout. Après avoir terminé de ranger mon paquetage, je m'en fus avec mon voisin de lit, un nommé Détré, jusqu'à la cantine, seule promenade qui nous fut permise, car le quartier était rigoureusement consigné. Défense expresse de sortir en ville.

     L'après-midi, il faisait un temps splendide. Nous fûmes visités par les taubes. Un coup de clairon nous donnait l'alarme : tout le monde devait descendre dans les couloirs du rez-de-chaussée, et ne plus bouger. A un autre coup de clairon, l'alerte terminée, on pouvait rentrer. Trois fois dans l'après-midi, il en fut ainsi. Mais les taubes s'en retournaient comme ils venaient, sans rien lâcher, se contentant de prendre des photographies.

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